L’objectif de ce cours est d’aborder l’ensemble des connaissances utiles au passage de l’agrégation de physique dans le domaine de l’électronique. C’est donc un cours d’électronique pour physiciens donné par un physicien, qui passe certainement sous silence volontairement ou par ignorance de nombreuses notions d’électronique essentielles aux yeux d’un véritable électronicien. Néanmoins ce cours s’appuie sur les notions de base de l’électrocinétique, voire de l’électromagnétisme, pour progressivement étudier des systèmes électroniques plus complexes tels que les oscillateurs, les télécommunications, l’électronique numérique, tout en s’efforçant de faire le lien entre théorie et expérience, formules et paillasse de TP, grands principes et technologies passées ou actuelles.
Pour l’agrégation de physique, ce cours est transverse à un grand nombre de montages et leçons, des circuits électroniques étant présents dans beaucoup de dispositifs expérimentaux. Nous aborderons aussi les notions plus générales de système physique linéaire, de fonction de transfert et de filtrage, qui peuvent être transposées et utilisées en dehors du domaine de l’électronique.
Quelques annexes avec de la bibliographie sont présentes en fin de cours. Cependant les annexes principales à ce cours sont surtout les polycopiés de TP, qui peuvent être lus à la lumière de ce cours et vice versa, et plongent de manière plus concrète dans les problèmes pratiques liés à l’électronique.
L’électromagnétisme en régime quasi-stationnaire
Ce chapitre a pour objectif de bien établir les équations de l’électromagnétisme dans l’approximation des régimes quasi-stationnaires (ARQS), qui ont des conséquences sur les aspects pratiques liés à l’électrocinétique, la conduction électrique et l’induction.
Les équations de Maxwell
Théorème 1. La force \(\vec{F}\) exercée par une distribution volumique de charges et de courants décrite par les densités \(\left\lbrace\rho(\vec{r},t),\vec{j}(\vec{r},t)\right\rbrace\) sur une charge ponctuelle \(q\) située en un point \(M\) à l’instant \(t\) et possédant un vecteur vitesse \(\vec{v}(M,t)\) dans un référentiel \(\mathcal{R}\) est donnée par la formule de Lorentz :
où \(\left\lbrace \vec{E}(M,t), \vec{B}(M,t)\right\rbrace\) est le champ électromagnétique créé au point \(M\) par la distribution \(\left\lbrace\rho(\vec{r},t),\vec{j}(\vec{r},t)\right\rbrace\). Ce champ électromagnétique est solution des équations locales de Maxwell :
Les constantes \(\epsilon_0\) et \(\mu_0\) sont appelées respectivement permittivité diélectrique du vide et perméabilité magnétique du vide, et sont liées par la relation \(\epsilon_0 \mu_0 c^2 = 1\) avec \(c\) la célérité de la lumière dans le vide.
Les opérateurs d’analyse vectoriel présents dans les équations de Maxwell peuvent s’écrire à l’aide du vecteur opérateur nabla [1], noté \(\nabla\) ou \(\overrightarrow{\nabla}\), désignant le gradient d’une fonction :
Note
Bref historique de l’électromagnétisme
La théorie électromagnétique est une construction scientifique qui s’est produite sur quasiment un siècle. Des premières expériences de Faraday, Coulomb ou encore Ampère, des lois empiriques ont été tirées. James Clerk Maxwell parvient à réunir tous ces phénomènes en quatre équations par analogie mécanique et hydrodynamique vers 1865. Pour parfaire sa théorie et obtenir la conservation de la charge électrique, comme en hydrodynamique on conserve la matière, Maxwell rajoute le terme de "courant de déplacement" à l’équation d’Ampère. Ce terme impose la propagation d’ondes électromagnétiques dans le vide, qui seront découvertes par Hertz en 1887. Ce dernier mesure que ces ondes se propagent à la vitesse de la lumière: la lumière devient une onde électromagnétique. Ceci assoit définitivement la théorie électromagnétique de Maxwell face à ses concurrentes.
Vers 1892-1895, Hendrik Lorentz parvient à reformuler les équations de Maxwell sous la forme que l’on connaît aujourd’hui (avec les champs \(\vec{E}\) et \(\vec{B}\)) et y ajoute la théorie atomiste: le fluide électrique est constitué de particules de matière chargées qui par nature sont détachées de l’éther. Aux quatre équations de Maxwell est aussi rajoutée la force de Lorentz, agissant sur les particules chargées. Avec ce jeu complet d’équations, on parvient à expliquer tous les phénomènes magnéto-électrodynamiques connus. La découverte de l’effet Zeeman classique due à l’action de la force de Lorentz magnétique sur les électrons élastiquement liés (1896) ainsi que la découverte de l’électron par J.J Thomson (1899) vont asseoir la théorie de l’électromagnétisme de Lorentz et la théorie atomiste.
Cependant Maxwell reste attaché à la notion d’éther absolu et les "fluides" électriques restent liés à celui-ci. Les ondes électromagnétiques ne peuvent qu’être la vibration (transversale) de ce support mécanique. Or dès 1822 Augustin Fresnel avait proposé une théorie de l’éther partiellement entrainé par les corps transparents en mouvement par rapport à l’éther absolu [1]. Cette notion a été vérifiée par les expériences de Fizeau (1851: propagation de la lumière entrainée par de l’eau en mouvement), Hoeck (1868: idem en considérant le mouvement de la Terre autour du Soleil) et Airy (1871: sur l’aberration des étoiles, avec une lunette remplie d’eau). La notion d’éther absolu liée aux équations de Maxwell ne convient pas pour interpréter les expériences ayant vérifié la théorie d’entrainement partiel de Fresnel.
Puis, la seconde expérience de Michelson-Morley en 1887 met encore plus les physiciens au défi: l’absence de détection du mouvement de la Terre par rapport à l’éther contredit l’hypothèse de Fresnel pourtant vérifiée expérimentalement auparavant. Lorentz introduit la notion de temps local et de contraction des longueurs pour expliquer ces résultats expérimentaux mais ne parvient pas à se défaire de la notion d’éther, ni Poincaré. C’est en 1905 que Einstein franchit le pas avec la théorie de la relativité restreinte, et en 1908 la transformation relativiste des champs est formulée par Einstein et Laub.
La contribution de Maxwell à la théorie de l’électromagnétisme a été de rassembler et mettre en forme les résultats de ses prédécesseurs et de rajouter le second terme dit de courant de déplacement à l’équation de Maxwell-Ampère. Ce terme est nécessaire pour que les équations contiennent la conservation de la charge électrique. En effet, avec cette formulation, lorsqu’on applique l’opérateur \(\mathrm{div}\ \) à l’équation de Maxwell-Ampère, on obtient l’équation locale de conservation de la charge électrique:
Les potentiels électromagnétiques
Définition
De l’équation de Maxwell-flux, on déduit qu’il existe une fonction vectorielle \(\vec{A}\) qui vérifie \(\vec{B}= \overrightarrow{\mathrm{rot}}\ \vec{A}\) puisque \(\mathrm{div}\ \overrightarrow{\mathrm{rot}}\ = 0\). L’équation de Maxwell-Faraday se réécrit alors :
Puisque \(\overrightarrow{\mathrm{rot}}\ \overrightarrow{\mathrm{grad}}\ = \vec{0}\), il existe donc aussi une fonction scalaire \(V\) telle que :
Définition 2. Les deux fonctions \(\vec{A}(M,t)\) et \(V(M,t)\) sont deux quantités appelées respectivement potentiel vecteur et potentiel électrique. Les champs électromagnétiques \(\vec{E}\) et \(\vec{B}\) se déduisent de ces deux fonctions par :
Transformations de jauge
Les potentiels \((V,\vec{A})\), en tant que quantités intégrales des champs (\(\vec{E},\vec{B})\), sont-ils définis de manière unique par les relations Eq.1 pour décrire les phénomènes électromagnétiques ? Étant donné un système physique, les transformations de jauge de l’électromagnétisme sont des transformations que l’on peut appliquer à un couple de solutions des potentiels \((V,\vec{A})\) sans que cela modifie le couple de solutions \((\vec{E},\vec{B})\) correspondant, et donc la description des phénomènes observés. En effet, n’oublions pas que les champs \(\vec{E}\) et \(\vec{B}\) sont mesurables par leur interaction avec la matière, notamment la force de Lorentz.
Cherchons la forme que peut prendre cette transformation [2]. En tant que quantités intégrales, les potentiels \((V,\vec{A})\) semblent pouvoir être définis à des fonctions additives près. Posons \(\vec{A}'(\vec{r},t)=\vec{A}(\vec{r},t) + \vec{\alpha}(\vec{r},t)\) et \(V'(\vec{r},t) = V(\vec{r},t) + \beta(\vec{r},t)\) où \(\vec{\alpha}\) et \(\beta\) sont des fonctions dont nous allons déterminer les propriétés pour qu’elles respectent une transformation de jauge. Pour maintenir l’invariance des champs \((\vec{E},\vec{B})\), on doit avoir d’une part :
donc \(\vec{\alpha}\) peut s’écrire sous la forme \(\vec{\alpha}(\vec{r},t) = \overrightarrow{\mathrm{grad}}\ \phi(\vec{r},t)\) puisque \(\overrightarrow{\mathrm{rot}}\ \overrightarrow{\mathrm{grad}}\ = \vec{0}\). Et d’autre part :
On en déduit :
en tout point de l’espace. Une solution possible est donc :
Propriété 3. Toute transformation des potentiels par une fonction \(\phi (\vec{r},t)\) telle que :
conduit aux mêmes champs \((\vec{E},\vec{B})\). C’est une transformation de jauge.
Note
Analogie mécanique pour comprendre les transformations de jauge
Il existe beaucoup de symétries qui laissent invariantes les équations de la physique. La notion de symétrie en physique est très importante car toute symétrie continue peut être associée à une quantité conservée: c’est le théorème de Noether. Lorsque des équations sont invariantes par une symétrie locale, on peut exploiter cette symétrie pour aller plus loin et on parle alors de théorie de jauge.
Prenons l’exemple du principe fondamental de la dynamique exprimé dans un référentiel galiléen \(\mathcal{R}\), pour une particule de masse \(m\) soumise à une force \(\vec{F}\), projeté sur la direction \(\vec{u}_x\) d’une base cartésienne :
Si l’on croit que les prédictions physiques de cette loi ne doivent pas changer selon le choix du système de coordonnées, quels sont les référentiels \(\tilde{\mathcal{R}}\) dans lesquels les observateurs de la trajectoire de la masse \(m\) puissent être d’accord avec les observateurs fixes dans \(\mathcal{R}\) ? Quelles sont les conditions pour que la loi de Newton, vérifiée dans le référentiel \(\mathcal{R}\), puisse être valide dans un autre référentiel \(\tilde{\mathcal{R}}\) ?
Pour trouver ces conditions, il faut rechercher les transformations de coordonnées \(x \rightarrow \tilde{x}=\phi(x,t)\) laissant cette équation invariante. Les calculs suivants s’inspirent de l’appendice 1 de la référence [2]. La vitesse \(\tilde{v\) et l’accélération \(\tilde{a\) s’écrivent:
et la force, en tant que vecteur représenté dans la base du référentiel \(\mathcal{R}'\), donne :
avec \(\partial \phi / \partial x\) le Jacobien de la transformation de coordonnées, localement autour du point \(x\) d’application du principe fondamental de la dynamique. La loi de Newton est invariante par changement de référentiel si elle s’écrit dans \(\tilde{\mathcal{R}}\):
Cette seconde écriture de la loi de Newton est équivalente à sa première écriture si on impose trois conditions sur les nouvelles coordonnées:
avec \(J\), \(V\) et \(x_0\) des constantes. Donc la transformation locale des coordonnées d’espace la plus générale qui laisse la loi de Newton invariante est:
Autrement dit, les translations, les dilatations et une translation galiléenne sont les transformations de coordonnées autorisées pour laisser la loi de Newton invariante par changement de référentiel. La classe des référentiels liés ensemble par ces trois transformations est la classe des référentiels galiléens. Fixer la jauge en mécanique classique revient ainsi à fixer les valeurs de \(x_0\), \(J\) et \(V\), donc la fonction \(\phi(x,t)\) qui lie un référentiel où la loi de Newton est valide à d’autres référentiels. Choisir un référentiel galiléen, donc un système de coordonnées pour décrire un système mécanique, s’identifie à un choix de jauge.
Le statut du couple \((V,\vec{A})\) est ambigu dans la communauté des physiciens. Il est commun de considérer que ces quantités ne sont que des intermédiaires de calculs et n’ont aucun sens physique. Pourtant le potentiel vecteur est considéré comme une quantité fondamentale de l’électromagnétisme par Maxwell lui-même au moment de formaliser ses équations [3] et qui écrit à son propos :
Sans l’aide de l’appareil mathématique [Faraday] a été conduit à reconnaître l’existence de quelque chose [\(\vec{A}\)] que nous savons maintenant être une quantité mathématique et qui peut même être tenue pour la quantité fondamentale de la théorie de l’électromagnétisme.
James Clerk Maxwell
De plus, les expressions des potentiels électromagnétiques sont à la base de la définition du régime de l’approximation des régimes quasi-stationnaires (ARQS – voir section L’approximation des régimes quasi-stationnaires (ARQS)). Aussi, les différences de potentiels sont a priori données par les voltmètres (voir l’encadré plus loin) et sont liées au travail de la force électrique sur une particule chargée. Le potentiel vecteur \(\vec{A\) apparait dans les formulations des mécaniques lagrangienne et quantique, et intervient dans l’interprétation des expériences quantiques sur l’effet Aharanov-Bohm (voir encadré). Le potentiel vecteur conduirait donc à une description plus complète de l’état magnétique de l’espace que le champ \(\vec{B\). Les potentiels électromagnétiques ont donc une incidence sur la physique qui n’est pas négligeable. Le procès fait à ces quantités repose essentiellement sur le fait qu’un couple \((V,\vec{A})\) n’est pas défini de façon unique mais contient une liberté de jauge [4].
Note
L’effet Aharanov-Bohm et l’existence de :math:`vec{A}`
\[\Delta \varphi = \Delta \varphi_{0} + \frac{q}{\hbar} \oint_\Gamma \vec{A}(M)\cdot \mathrm{d}\vec{OM}\]avec \(\Delta \varphi_{0}\) le déphasage induit par les fentes de façon standard et \(\Gamma\) le chemin fermé allant de la source à l’écran en passant par les deux fentes.
Équations de propagation
À partir de l’équation de Maxwell-Ampère, on obtient une première équation de propagation pour le potentiel vecteur \(\vec{A}\) :
Les champs \(\vec{A\) et \(V\) sont a priori couplés par cette équation différentielle. Mais les potentiels électromagnétiques sont définis à une jauge près. Cette liberté dans la théorie électromagnétique peut être utilisée à notre avantage pour simplifier les équations en choisissant une jauge (une fonction \(\phi\)) astucieuse [3]. Notamment, pour simplifier les équations de propagation des potentiels électromagnétiques, on a le droit de faire un choix de condition de jauge qui fixe la forme de \(\mathrm{div}\ \vec{A\), ce qui revient à choisir une forme de la fonction \(\phi(\vec{r},t)\). Autrement dit, on restreint l’ensemble des choix de jauge \(\phi(\vec{r},t)\) possibles par une condition de jauge. On utilise couramment deux choix de condition de jauge [5, 6] :
la condition de jauge de Lorenz est définie par :
(3)\[\frac{1}{c^2}\frac{\partial V}{\partial t}+\mathrm{div}\ \vec{A}= 0 \Rightarrow \square \phi = 0\]et permet d’obtenir des équations de d’Alembert pour le potentiel vecteur et le potentiel scalaire (en faisant intervenir l’équation de Maxwell-Gauss) :
(4)\[\left(\frac{1}{c^2}\frac{\partial^2 }{\partial t^2}- \vec{\Delta} \right) \vec{A}= \mu_0 \vec{j} , \qquad \left(\frac{1}{c^2}\frac{\partial^2 }{\partial t^2}-\Delta\right) V = \frac{\rho}{\epsilon_0}\]la condition de jauge de Coulomb est définie par :
\[\mathrm{div}\ \vec{A}= 0 \Rightarrow \triangle \phi =0\]ce qui permet d’aboutir à l’équation de Poisson, valable en régime statique et variable :
\[\triangle V (\vec{r},t)= -\frac{\rho (\vec{r},t) }{ \epsilon_0}\]
Pour travailler sur la propagation des champs, la condition de jauge de Lorenz (\(c^2 \mathrm{div}\ \vec{A}=-\partial V / \partial t\)) est un choix judicieux car alors les deux potentiels obéissent à des équations de d’Alembert découplées avec des termes sources \(\rho\) et \(\vec{j}\). Ce choix de jauge correspond à se restreindre aux fonctions \(\phi\) vérifiant \(\square \phi=0\) (avec \(\square\) l’opérateur d’Alembertien). Ce choix (et c’est le seul) mène alors aux solutions en potentiels retardés. De plus cette jauge est plus naturelle dans le formalisme relativiste où son caractère covariant est explicite.
Le choix de condition de jauge de Coulomb (\(\mathrm{div}\ \vec{A}=0\)) est judicieux pour l’électrostatique car on retrouve l’équation de Poisson \(\triangle V = -\rho / \epsilon_0\), mais au prix de l’équation différentielle pour \(\vec A\) qui se complexifie et reste couplée à \(V\). Dans ce cas on a implicitement imposé \(\triangle \phi =0\). Ce choix de condition de jauge correspond à une simplification de la jauge de Lorenz pour les phénomènes statiques, et est parfois par extension (et pas toujours à bon escient comme nous allons le voir) utilisée dans la limite de l’ARQS, ce qui n’est pas sans soulever certains problèmes de causalité, le potentiel scalaire se propageant alors instantanément [6].
Note
Retour sur le caractère physique ou non du potentiel vecteur :math:`vec A`
Souvent les potentiels électromagnétiques sont décrits comme non physiques car définis à une jauge près. Cette multiplicité possible des solutions \((V, \vec A)\) pour décrire un système physique implique qu’ils seraient impossibles à mesurer. En réalité nous pouvons évaluer certaines propriétés de leurs champs respectifs et les observables physiques correspondantes sont nécessairement indépendantes du choix de jauge (différence de potentiel électrique, circulation de \(\vec A\)). Cette situation est analogue au fait qu’en mécanique on ne peut mesurer une coordonnée spécifiquement, mais plutôt des différences de coordonnées, des longueurs, dans un référentiel fixé donné.
Lier les potentiels électromagnétiques via la jauge de Lorenz est donc un des moyens permettant d’assurer l’unicité du couple \((V,\vec A)\) [4] [p. 96], tout comme le choix d’un référentiel en mécanique lie les coordonnées spatiales entre elles.
Rappelons cette condition :
Cette équation semble parfois être un artifice mathématique pour fixer la valeur des potentiels. Pourtant cette équation, covariante en relativité restreinte, est formellement analogue à une relation de continuité traduisant la conservation locale d’une grandeur extensive qui pour un volume \(\mathcal{V}\) d’espace serait ici \(X(t) = \int_\mathcal{V} V(\vec{r},t)\mathrm{d}^3 \vec{r}/c^2\) (telle l’équation locale de conservation de la charge électrique \(\mathrm{div}\ \vec{j} + \partial \rho / \partial t=0\)). Autrement dit, toute variation temporelle de l’intégrale volumique du potentiel électrique sur un volume d’espace se traduit par un flux de potentiel vecteur magnétique entrant dans ce volume et réciproquement. En ce sens, il semble que cette condition de jauge doit jouer un rôle plus consistant que celui de simple outil de calcul.
L’approximation des régimes quasi-stationnaires (ARQS)
Solution des potentiels retardés
Propriété 4. Dans la jauge de Lorenz, et uniquement celle-ci, les potentiels électromagnétiques s’écrivent [7] :
L’obtention de cette solution à partir des équations de propagation des potentiels électromagnétiques en jauge de Lorenz (équations Eq.4) est un calcul complexe à base de fonctions de Green. Derrière cette écriture, il y a implicitement le choix d’avoir des potentiels électromagnétiques nuls à distance infinie de la distribution de charge et de courant (supposée de taille finie). La liberté de pouvoir choisir les potentiels à une constante près est acquise grâce à l’invariance de jauge de l’électromagnétisme. Dans la jauge de Lorenz, on rappelle qu’on a le droit de choisir une jauge \(\phi(\vec{r},t)\) tant que \(\square \phi(\vec{r},t)=0\). Choisir \(\phi(\vec{r},t)=0\) est donc légitime dans la jauge de Lorenz et permet d’assurer la nullité des potentiels à l’infini. En particulier on peut donc toujours choisir de travailler dans une jauge \(\phi(\vec{r},t)\) tel que le potentiel électrique \(V\) soit nul à la masse d’un circuit électrique ou pour la Terre. En bref, on a donc toute liberté pour choisir où est situé le potentiel électrique nul [4].
Définition 5. L’approximation des régimes quasi-stationnaires revient à négliger le temps de propagation des quantités électromagnétiques, c’est-à-dire à évaluer les sources au temps instantané \(t\) au lieu du temps retardé \(t- \Vert\vec{r}-\vec{u}\Vert/c\). Soit \(T\) le temps typique de variation de \(\vec{j}\) et \(\rho\), et \(\ell\) la longueur typique caractérisant \(\Vert\vec{r}-\vec{u}\Vert\) i.e. la distance typique entre les sources et le champ électromagnétique observé. L’ARQS est valable si \(\vec{j}\) et \(\rho\) varient peu pendant \(\Vert\vec{r}-\vec{u}\Vert/c\) donc si \(T \gg \ell/c\).
Autrement dit, le temps typique de variations des charges est lent devant le temps de propagation des champs électromagnétiques, ou la distance d’observation des champs est petite devant leur longueur d’onde.
Dans l’ARQS, on obtient donc les relations approximatives :
que l’on peut obtenir de manière équivalente comme solution de
Ces potentiels varient dans le temps mais sont à chaque instant liés à leurs sources comme le seraient des potentiels en électrostatique ou en magnétostatique. Attention cependant, l’ARQS reste différente du régime statique (voir section Différences entre l’ARQS et le régime statique).
Calculons maintenant les champs pour calculer les champs \(\vec{E}\) et \(\vec{B}\) dans l’ARQS. Sachant que :
on obtient :
Concernant le champ électrique :
donc dans le cas où les sources sont non statiques :
On s’aperçoit donc qu’un courant électrique variable peut générer un champ électrique. Ce phénomène est bien connu car on sait qu’une particule chargée accélérée émet un rayonnement synchrotron, or une variation de courant correspond justement à l’accélération de charges électriques. Ce second terme reste cependant négligeable la plupart du temps face au premier en régime quasi-stationnaire \(\ell/cT \ll 1\).
Hors ARQS, les équations ci-dessus pour \(\vec E\) et \(\vec B\) contiennent les mêmes termes mais avec un temps \(t\) corrigé d’un terme de retard \(\Vert\vec{r}-\vec{u}\Vert/c\), et chacune possède un terme supplémentaire lié à la dérivée de ce terme de retard. Ce sont les équations de Jefimenko [5] [section 6.5].
Différences entre l’ARQS et le régime statique
Si les sources ne dépendent pas du temps, alors les expressions suivantes pour \(\vec{E}\) et \(\vec{B}\) sont :
Ce sont les solutions des équations de l’électrostatique et de la magnétostatique:
D’après les expressions ci-dessus, \(\vec{E}\) est proportionnel à \(\rho\) dans le cas statique. Donc en électrostatique toute symétrie de \(\rho\) est une symétrie de \(\vec{E}\). \(\vec{B}\) dépend de \(\vec{j}\) via un terme de la forme \(\vec{j}\wedge\vec{u}\). Le produit vectoriel dépendant de l’orientation de l’espace, une symétrie négative [5] de \(\vec{j}\) est une antisymétrie de \(\vec{B}\). Une symétrie positive de \(\vec{j}\) est en revanche une symétrie de \(\vec{B}\).
Cependant, se placer dans l’ARQS ne signifie pas pour autant négliger toutes les dérivées temporelles des équations de Maxwell [7] et donc utiliser les équations de l’électromagnétisme statique. En particulier, il est souvent affirmé que le courant de déplacement est négligeable dans l’ARQS en comparant les différents termes des équations de Maxwell de la manière suivante :
en notant \(\tilde E\) et \(\tilde B\) les ordres de grandeurs des champs \(\vec E\) et \(\vec B\). Sauf que dans le cas d’un condensateur en régime lentement variable, on vérifie qu’il existe bel et bien un champ magnétique entre les armatures, créé par le terme de courant de déplacement, alors que pourtant \(\vec{j}=0\) entre les armatures. On est donc face à un cas de régime lentement variable pour \(\vec B\), non descriptible par l’équation de la magnétostatique [7]. Le loup réside dans l’ordre de grandeur abusif de \(\Vert \overrightarrow{\mathrm{rot}}\ \vec{B}\Vert \approx \vec B/\ell\) puisqu’un rotationnel est une différence de dérivées partielles du type \(\partial_x B_y - \partial_y B_x\) et donc peut être d’ordre beaucoup plus petit qu’au premier abord voire identiquement nul [6] [7]. Les ordres de grandeur ci-dessus ne peuvent donc être valables.
Cette constatation expérimentale nous pousse à revenir aux hypothèses de départ. L’ARQS est définie dans la jauge de Lorenz [7]. Les équations utilisées pour raisonner sur le cas du condensateur en ARQS proviennent des solutions des potentiels retardés, écrites dans la jauge de Lorenz. Or, fondamentalement, même avec une hypothèse de régime lentement variable, dans cette jauge on retrouve l’équation de Maxwell-Ampère complète :
à l’aide des équations Eq.3 (jauge de Lorenz) et Eq.7 (\(\vec{\triangle} \vec{A}\) en ARQS). Dans cette expression le courant de déplacement est a priori non négligeable sans connaître le vrai rapport entre \(\tilde{E}\) et \(\tilde{B}\) puisqu’il est directement issu de la condition de jauge de Lorenz.
En résumé, supposer que l’équation de la magnétostatique est valable en ARQS en toute situation est faux à cause du choix de jauge initial dont sont issus les équations [7], et négliger brutalement les dérivées temporelles peut être trompeur. La différence entre l’ARQS et le régime statique est donc subtile mais bien réelle, et nous pousse à établir une description plus fine de l’électromagnétisme en ARQS.
Les deux limites de l’électromagnétisme en ARQS
Existence de deux limites
Pour analyser précisément les propriétés des champs quasi-stationnaires et donner des variantes simplifiées des équations de Maxwell en ARQS, il est nécessaire d’introduire des approximations supplémentaires en comparant des grandeurs de même dimension, comme réalisé exhaustivement dans la référence [7] reprise ici. On peut en former quatre paires: \(cT\) et \(\ell\), \(c\tilde{B\) et \(\tilde{E\), \(\tilde{\rho}c\) et \(\tilde{j\), \(c\tilde{A\) et \(\tilde{V\). Les grandeurs tildées font référence à l’ordre de grandeur de la quantité physique considérée.
Dans le cadre de l’ARQS, on suppose pour le premier couple \(\ell / cT \ll 1\), ce qui permet de simplifier le calcul des potentiels. Pour obtenir des propriétés approximatives sur les champs et les relier à celles des champs statiques il faut imposer une seconde inégalité forte sur l’un ou l’autre des couples. Il est plus commode de s’intéresser au couple \((\tilde{\rho}c,\tilde{j})\) car les sources sont en général une donnée du problème. On introduit les paramètres sans dimension :
Dans le cas quasi-stationnaire, on peut utiliser les expressions Eq.6 de \(V\) et \(\vec{A}\) pour obtenir les ordres de grandeurs suivants :
avec \(\mathcal{V}\) le volume occupé par les sources. On en déduit :
Puis avec les expressions de \(\vec{E}\) Eq.9 et \(\vec{B}\) Eq.8 on obtient en ARQS:
Nous allons voir dans les paragraphes suivants que le paramètre \(\xi\) est lié à l’existence de deux limites possibles aux équations de l’électromagnétisme en ARQS, suivant que \(\xi\ll1\) ou \(\xi \gg 1\), tout en ayant \(\epsilon\ll 1\).
Régime quasi-stationnaire électrique
Soit une situation quasi-stationnaire (\(\epsilon\ll 1\)) où les charges dominent sur les courants (\(\xi \ll 1\)). C’est typiquement le cas dans un condensateur chargé. Dans une telle situation le champ électrique est prépondérant sur le champ magnétique. Comparons les deux termes de la définition de \(\vec{E}\) par les potentiels (équation Eq.1) :
Donc dans cette situation physique le champ électrique peut s’écrire :
On retrouve donc les lois de l’électrostatique. Ces conditions définissent le domaine d’applicabilité de l’électrostatique. Par contre l’équation de Maxwell-Ampère reste inchangée, on ne retrouve pas les lois de la magnétostatique car le courant de déplacement n’est pas négligeable dans cette limite :
avec usuellement \(\mathcal{V} \lesssim \ell^3\) si on regarde le champ en dehors de la région occupée par les sources.
Régime quasi-stationnaire magnétique
Soit une situation quasi-stationnaire (\(\epsilon\ll 1\)) où les courants dominent sur les charges (\(\xi \gg 1\)). C’est typiquement le cas dans un fil électrique. Dans une telle situation le champ magnétique est prépondérant sur le champ électrique. Dans ce cas le courant de déplacement est bien négligeable dans l’équation de Maxwell-Ampère. En effet on peut au préalable montrer que :
et :
On retrouve donc les lois de la magnétostatique: l’équation de Maxwell-Faraday reste inchangée et le courant de déplacement peut être négligé. C’est dans cette limite qu’on étudie en général les systèmes électrotechniques avec induction, et c’est donc cette limite qui est en général enseignée car source de multiples applications. Ceci s’explique par le fait qu’il est bien plus aisé de faire circuler des courants forts que de stocker des charges fortes : on a donc une prépondérance technologique de la limite magnétique qui ne doit pas faire oublier la limite électrique.
Tableau bilan
Sans démonstration, dans ce tableau nous allons résumer les équations de l’électromagnétisme dans les différentes limites de l’ARQS, en anticipant sur le chapitre à propos de la conduction électrique. En effet, les métaux dans l’ARQS constituent un cas particulier de la limite magnétique de l’ARQS qu’il est intéressant de faire figurer ici dès maintenant.
On retrouve dans le tableau que l’ARQS ne revient pas à négliger toutes les dérivées temporelles des équations de Maxwell sous prétexte que le régime est lentement variable, car sinon on ne décrit pas l’induction dans la limite magnétique, ou la propagation du champ électrique dans un condensateur dans la limite électrique. Il y a donc une différence véritable entre le régime statique et le régime de l’ARQS (voir aussi section Différences entre l’ARQS et le régime statique).
De plus, l’origine des deux limites de l’ARQS est en réalité étroitement liée à la nature profondément relativiste de l’électromagnétisme. En effet, discuter des limites des transformations relativistes des champs mène aussi à deux cas qui correspondent aux transformations galiléennes des champs valables dans les limites magnétique et électrique [6, 7]. C’est pourquoi les transformations des champs et sources d’un référentiel \(\mathcal{R\) à un référentiel \(\mathcal{R}'\) dans la limite non relativiste sont aussi précisées dans ce tableau (avec les notations ’).
Il est à noter que les transformations galiléennes des champs \(\vec{E}\) et \(\vec{B}\) dans la limite magnétique peuvent se retrouver à partir de l’écriture de la conservation de la force de Lorentz par changement de référentiel dans le contexte non relativiste. S’il existait des monopôles magnétiques dans la nature, alors l’étude de la force duale s’appliquant aux charges magnétiques permettrait de retrouver les transformations galiléennes des champs \(\vec{E}\) et \(\vec{B}\) dans la limite électrique également. Mais la nature introduit ici une dissymétrie entre les champs \(\vec{E}\) et \(\vec{B}\) qui fait que l’étude non relativiste sur la force de Lorentz ne mène qu’à une des deux limites.
Cas \(\tilde{\rho}c \gg \tilde{j}\) |
Cas \(\tilde{\rho}c \ll \tilde{j}\) |
Métaux |
|
---|---|---|---|
Équations |
\[\begin{split}\;\; \begin{aligned}
\displaystyle& \mathrm{div}\ \vec{E}= \frac{\rho}{\epsilon_0},\;\; \overrightarrow{\mathrm{rot}}\ \vec{E}\approx \vec{0}\\
& \mathrm{div}\ \vec{B}= 0 ,\;\; \overrightarrow{\mathrm{rot}}\ \vec{B}= \mu_0 \vec{j} + \epsilon_0 \mu_0 \frac{\partial \vec{E}}{\partial t} \\
& \text{+ force de Lorentz }
\end{aligned}\end{split}\]
|
\[\begin{split}\;\;\quad \begin{aligned}[c]
\displaystyle& \mathrm{div}\ \vec{E}= \frac{\rho}{\epsilon_0},\;\; \overrightarrow{\mathrm{rot}}\ \vec{E}= -\frac{\partial \vec{B}}{\partial t}\\
& \mathrm{div}\ \vec{B}= 0 ,\;\; \overrightarrow{\mathrm{rot}}\ \vec{B}\approx \mu_0 \vec{j} \\
& \text{+ force de Lorentz }
\end{aligned}\end{split}\]
|
\[\begin{split}\;\;\quad \begin{aligned}
\displaystyle& \mathrm{div}\ \vec{E}=0,\;\; \overrightarrow{\mathrm{rot}}\ \vec{E}= -\frac{\partial \vec{B}}{\partial t}\\
& \mathrm{div}\ \vec{B}= 0 ,\;\; \overrightarrow{\mathrm{rot}}\ \vec{B}\approx \mu_0 \vec{j} \\
& \text{+ force de Lorentz }
\end{aligned}\end{split}\]
|
ARQS |
limite électrique \(c\tilde{B}\ll \tilde{E}\) |
limite magnétique \(c\tilde{B}\gg \tilde{E}\) |
limite magnétique et métallique si \(T \gg 1/\omega_p\) |
Transformations galiléennes |
\[\begin{split}\begin{aligned}
\displaystyle& \vec{E}' = \vec{E},\;\; \vec{B}' =\vec{B}- \vec{u}\wedge \vec{E}/c^2 \\
& \vec{A}' = \vec{A}-V \vec{u}/c^2 ,\;\; V' = V\\
& \rho' = \rho, \;\; \vec{j}' = \vec{j}-\rho \vec{u}
\end{aligned}\end{split}\]
|
\[\begin{split}\begin{aligned}
\displaystyle& \vec{E}' = \vec{E}+ \vec{u}\wedge \vec{B},\;\; \vec{B}' =\vec{B}\\
& \vec{A}' = \vec{A},\;\; V' = V - \vec{u}\cdot \vec{A}\\
& \rho' = \rho - \vec{u}\cdot \vec{j}/c^2, \;\; \vec{j}' = \vec{j}
\end{aligned}\end{split}\]
|
idem |
Choix de jauge |
jauge de Lorenz : \(\begin{aligned}[c] & \mathrm{div}\ \vec{A}+ \frac{1}{c^2}\frac{\partial V}{\partial t}=0 \end{aligned}\) |
jauge de Coulomb : \(\begin{aligned}[c] & \mathrm{div}\ \vec{A}\approx 0 \end{aligned}\) |
idem |
Conséquences physiques |
Électrostatique :\(\begin{aligned}[c] & \mathrm{div}\ \vec{j} + \frac{\partial \rho}{\partial t}=0 \Rightarrow i = \frac{\mathrm{d}q}{\mathrm{d}t} \\ & \vec{E}\approx - \overrightarrow{\mathrm{grad}}\ V \Rightarrow U = \frac{q}{C}\end{aligned}\) |
Magnétostatique :\(\begin{aligned}[c] & \mathrm{div}\ \vec{j} =0 \Rightarrow \text{loi des noeuds} \\ & \vec{E}= - \overrightarrow{\mathrm{grad}}\ V - \frac{\partial \vec{A}}{\partial t} \Rightarrow \text{induction} \end{aligned}\) |
Loi d’Ohm : \(\begin{aligned}[c] & \vec{j}= \sigma_0 \vec{E}\Rightarrow u = Ri \end{aligned}\) |
Loi d’Ohm généralisée \(u = Ri - e\) |